
Il y a longtemps que j’empile les thérapies une par dessus l’autre. Alors que j’y retournais pour une raison un peu plus « superficielle », la personne a vite évaluée la bête et son mode de défense principal: la fuite et le silence. C’est la première fois qu’on me confronte sur le sujet de mon abus de 6 ans qui a teinté toute ma vie entière. C’est la première fois qu’on m’oblige à « déverrouiller la porte du garde-robe » que j’ai soigneusement oubliée inconsciemment pendant 40 ans. On m’a souvent reproché des peines et des colères intenses dans mes réactions. Je n’explique en rien le détail de l’abus…. mais comment je me sens depuis. Et pourquoi cette sensibilité est démesurée.
Porter le poids de ses blessures, à l’air vif. Comme une brûlure. Sentir la douce brise effleurer la plaie et hurler de douleur qui envahie le corps entier. Pleurer de souffrance. Angoisser devant un danger qui n’existe pas. Ne plus savoir vers où aller, ni vers qui. Montrer les crocs devant une ombre. Mordre avant même qu’on nous touche.
Demander aux autres de ne pas nous faire du mal, supplier, mais donner l’arme blanche à ces inconnus qui nous achèveront, un jour ou l’autre. Espérer la lumière mais fermer les yeux, parce qu’on ne croit plus qu’elle existe. Souhaiter de la douceur, alors qu’on est incapable de s’en donner soi-même.
Minimiser les faits. Enfouir et cacher ce qui ne va pas. Au point d’oublier où on a creusé le trou. Au point de perdre sa pelle et de ne plus la voir. Et pourtant, c’est tout près. Arracher les clôtures qui empêche de nous faire du mal, s’armurer comme un commando et oublier qu’on a mal. Cloîtrée l’émotion dans une grande malle armée à soudure indémontable. Elle ne doit pas s’ouvrir !
Inavouer ses faiblesses. Pervertir ses vulnérabilités, parce que c’est clair, personne ne saura en prendre soin. Espérer un héro qui sera sans failles et sans défauts. Parce qu’il saura protéger la fillette embarrée dans l’armure. Mais exiger ce que personne ne pourra atteindre, pas même dieu, qui lui-même est confronté à ses erreurs. Le héro n’existe pas. Comme un rêve créé de toute pièce. Il n’est qu’imaginaire. Il ne sera jamais aussi puissant qu’il le faudrait. Cependant, s’accrocher à l’espoir qu’il existe, ça permet de survivre. Tenir d’une main tremblante la possibilité qu’il pourrait être quelque part, ça permet de continuer.
Les genoux plient et le corps faibli au fil des années sous ce poids immense. C’est trop tard. Effacer ne soulage pas. Effacer ce n’est pas indélébile. Effacer c’est permanent. Comme un dossier non réglé par procrastination. Et pourtant le mensonge est parfait et fort. Tout l’être y croit. Se mentir tellement parfaitement qu’on fini par se croire de n’avoir vécu rien.
La bienveillance n’est pas une option. L’ennemi ressemble aux autres. À tout et rien. À ceux qui nous aime vraiment. Parce que tout est exprès, calculé, méchant. Même les « je t’aime » puissant. Un loup c’est rassurant. L’image est claire on ne sera pas déçue; ça va faire mal !
L’amour est méfiance. La douceur est manipulation, l’erreur est impardonnable.
Est-ce possible qu’un événement de quelques minutes peuvent réussir à détruire si puissamment la fragilité d’une petite fille de 6 ans ? Pour teinter toute sa sensibilité d’un noir profond pendant 40 années? N’est-ce pas exagérer de pousser l’audace à ce point?
Mais pourquoi tu n’as rien dit ?
Le silence s’impose, la douleur irradie le corps, la souffrance hurle et l’armure s’installe. Étouffée par la peur, l’angoisse et la douleur, j’échapperai 3 mots:
Je ne sais pas !